"L'aventure surréaliste constitue en vérité une cosmologie, mais d'un type particulier : celle d'un monde labyrinthique, à structure difficilement déterminable, dont les principes directeurs ne sont pas très aisés à fixer ; c'est un jardin pareil à celui de la Traversée du miroir, un échiquier qui sans cesse développe de nouvelles cases et dont sans cesse les sentiers reviennent à leur point de départ, comme par un phénomène de "courbure d'espace"…
[…]La grandeur de la peinture surréaliste est dans sa passion de découvertes, dans son appel au Merveilleux, dans son contenu exact, lisible et mystérieux. Le Labyrinthe se construit à partir de l'intérieur, mais il peut s'élargir infiniment, à la mesure de nos besoins de liberté."
Marcel Jean, Histoire de la peinture surréaliste, 1959.
Cette année, Daniel Malingue nous convie à une visite au cours de laquelle le pur plaisir visuel se double d'une véritable expérience "physique". Il présente en effet un ensemble exceptionnel d'œuvres d'artistes surréalistes : plusieurs membres "historiques" du mouvement, qui initient et participent, à Paris, aux premières réflexions et réunions, au début des années vingt, sont représentés (Dali, Ernst, Magritte, Masson, Miró, Picabia, Tanguy) ; des œuvres de Bellmer, Brauner, Dominguez, Hérold, Lam, Matta et Paalen, accueillis plus tard dans le groupe, à partir du milieu des années trente, illustrent la variété et la richesse des recherches, tandis que des oeuvres de Delvaux, Picabia et Tanning, qui ont travaillé à l'écart "géographique" du groupe surréaliste, auquel ils n'ont pas officiellement appartenu, complètent cet ensemble.
Ce panorama du Surréalisme, se transforme en spectacle étourdissant pour le visiteur en raison de l'importance exceptionnelle des formats présentés. En effet, nul souci de démonstration historique ici, nulle volonté didactique, mais une idée :
impressionner, submerger, étourdir.
Historiquement, le grand format est "héroïque" : il illustre l'ambition de l'artiste ; c'est le format de la "peinture d'histoire", genre suprême de l'art, qui servait le prestige des puissants en rendant compte de leurs batailles, de leurs victoires, de leurs faits glorieux. Avec l'impressionnisme, le "grand format" se trouve mis au service de scènes bucoliques de la vie quotidienne (Manet, Le Déjeuner sur l'Herbe, Renoir, Le Déjeuner des Canotiers, Seurat, Un dimanche à la Grande Jatte) ou d'études de nature et d'atmosphère (Monet, Les Nymphéas). Toujours, le spectateur assiste à un "spectacle", à la mise en scène d'un événement, d'un moment d'histoire ou de vie.
Avec l'ensemble de ces Grands Surréalistes, il n'y a plus moyen pour ce spectateur de rester "à l'extérieur" de l'espace des toiles exposées, de se trouver simple observateur d'une scène plus ou moins anecdotique. En raison de la grande taille de ces œuvres, il se trouve immergé dans des champs colorés qui semblent n'être que des fragments d'ensembles plus vastes (Matta, Miró, Tanguy), dans de pures visions cosmiques étourdissantes (Dominguez, Paalen), dans des univers fantastiques recomposés, animés de formes et de figures étranges ou terrifiantes (Bellmer, Brauner, Dali, Ernst, Lam, Magritte, Masson), ou encore dans des espaces clos dans lesquels le temps paraît arrêté (Delvaux, Tanning). Leur échelle engage un dialogue avec le corps du spectateur, qui se trouve invité à pénétrer dans le monde imaginé, ou reste au contraire exclu d'une scène dont le mystère restera entier.
Voilà donc le grand format voué à "servir le prestige" de l'esprit de l'artiste, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Le principe du "jeu", si cher aux Surréalistes, adeptes enthousiastes de nombreuses activités ludiques à but créatif, est aussi repris par l'exposition : en amont, jeu de piste, pour le galeriste qui recherche les grands formats, jeu de mots, dans le titre - "Grands Surréalistes" - (grands artistes, grands formats, grande qualité esthétique), jeu d'observation pour l'amateur-visiteur, pour faire dialoguer les œuvres entre elles : de l'apparition idéale dans La Visite de Delvaux à l'inquiétante Gradiva à demi-pétrifiée de Masson, au mystère indéchiffrable de La Chambre d'Amis de Tanning, de l'impalpable monstre du Ciel de Pieuvre de Paalen à la masse dense et inquiétante de la Horde de Max Ernst, ou encore l'étendue énigmatique de L'Ennui et la Tranquillité Tanguy, où se niche peut-être la figure fantastique, pas si "tranquille", de la Tour menthe poivrée à la louange des petites filles goulues, de Bellmer, les figures hiératiques de la Cérémonie de Brauner officiant peut-être au cœur de la forêt de la Harpe astrale de Lam…
Ce rapide panorama du Surréalisme (des œuvres de 1926 à 1961) a été constitué grâce à des prêts de collections prestigieuses, dont celui de la Fondation Beyeler, qui a généreusement accepté d'envoyer son Miró magnifique. De grands collectionneurs du Surréalisme ont bien voulu se défaire quelque temps de leurs chefs-d'oeuvre.
Un catalogue préfacé par Jean-Michel Goutier, membre lui-même du groupe surréaliste à la fin des années cinquante, poète et écrivain (il a écrit la préface du catalogue de la vente de la Collection André Breton, à Paris, en 2003) accompagne l'exposition. Comme les années précédentes, ce catalogue est vendu au profit de l'association N.R.B.-Vaincre le Cancer : les dons précédemment reçus ont permis l'attribution d'une bourse rémunérant un chercheur pendant une année, et la galerie Malingue est heureuse de pouvoir encourager les efforts de la recherche en renouvelant son initiative.
Le but de l'exposition est avant tout de faire découvrir un rare ensemble d'œuvres exceptionnelles, qui ne sont en principe pas à vendre.
Artistes présentés :
Bellmer, Brauner, Dali, Delvaux, Dominguez, Ernst, Hérold, Lam, Magritte, Masson, Matta, Miró, Paalen, Picabia, Tanguy, Tanning.